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Manifeste 2001


Comment faire encore du théâtre au moment où notre Société du Spectacle en est à son salut (nous nous référons ici à celui qui succède généralement au dernier acte) ? 
« Avoir ou ne pas avoir ?» telle est devenue la question.
La convention du théâtre d’aujourd’hui est pernicieuse. Elle n’est plus un choix délibéré de l’artiste de suivre ou pas des règles qui seraient objectivables : la convention, la vieille convention, à laquelle il était encore possible de se confronter, de s’opposer, n’est plus qu’un simulacre. Pantin à abattre qu’agitent ceux-là même qui, en conscience ou pas, ont admis un type de convention plus totalitaire encore, puisque, dialectique dans son fondement, elle semble toujours réactive à sa surface - semblable à une mafia, elle gangrène tous les milieux -.
À défaut d’une communauté, le monde artistique s’organise en réseaux et par déstructuration se structure. Assimilant la tradition à la convention – dans la bouche des tenanciers de la culture, la synonymie est déjà digérée - , des produits artistiques labellisés s’inter changent sur le marché international en écho avec le monde qu’en remixant ils paraissent vouloir changer. Naïveté ou bonne conscience ? Ce monde-ci ne veut pas changer. Il prolifère. Ses valeurs ne sont désormais plus que marchandises et marchandages. 
Mais l'art est ontologiquement lié à l'oeuvre et son acoquinement avec la consommation lui est fatal. 



La pensée a déserté le milieu artistique – nous ne parlons pas des pensées contingentes et discursives, réactives et subjectives qui, s’alimentant aux anecdotes de l’actualité, entretiennent la guerre de position, mais de celle qui sous-entend l’usage de l’intellect, c’est-à-dire de l’intelligence connivente avec la connaissance-. 
L’art est aujourd’hui à l’image de la société, devenu superficiel, jeux de miroir sur la surface opaque d’un monde déréalisé.
De nos jours, toute forme de résistance s’anéantit en s’exprimant. La démocratie n’est plus qu’une illusion d’idéologue et, de fait, un instrument du pouvoir économique, car il n’y a plus de peuple mais des masses médiatisées. Face à ce désastre, le théâtre n’a, à ce jour, rencontré d’autres alternatives que de rester archaïque ou de s’assimiler à la Société du Spectacle en manipulant une catharsis à rebours.
Nous ne sommes ni des politiciens ni des économistes, nous ne sommes pas encore des kamikazes, nous ne sommes que poètes et sentons les maux, que nous avons en nous, gronder comme des bombes à retardement.
Le tableau noir
automne 2004


Nous ne sommes plus dans une époque guidée par la raison. Nos sociétés sont exclusivement gouvernées par la rentabilité. La culture a remplacé l’art pour des raisons idéologiques, qui sont une conséquence de cet état de fait, et qu’il serait inadéquat de développer ici.  
Le seul constat que nous pouvons établir sans avoir de contradicteur est que la quantité a remplacé la qualité.
 
De nos jours, on  se revendique  “artistes“  dans la sphère du “ non-art ”  que sont devenues les Avant-gardes, au noyau desquelles le concept de qualité a pris la place de la qualité elle-même. 
Des règles et des quotas  sont donnés comme  des lois. .. la bête Mammon  tire les rênes du monde.
La quantité a instauré son règne et les concepts paradent comme des trompes l’œil. Mais des concepts vidés de leur sens même.
Or il n’y a pas d’art quand il n’y a pas de sens. 

Nous ne pouvons plus nous mentir, aujourd’hui “Les artistes” sont les serviteurs de l’idéologie dominante. 
Et ceci qu’ils soient les amuseurs de la masse, ou qu’ils soient les précurseurs d’une pensée tautologique devenue comme un estomac auquel un régime de pilules aurait rendu indigeste tout aliment autrement consistant. 
Il n’y a plus d’opposition entre l’institution et les artistes, si ce n'est des revendications anecdotiques, donnant l’illusion d’une résistance, mais qui ne sont, en réalité, que des simulacres de contestation, conformément à l’image de notre démocratie totalitaire qui cultive la dissidence artificielle pour s’auto-immuniser contre toute opposition réelle. 

Et pour preuve, un symptôme : plus aucune critique sérieuse ne  se manifeste à l’encontre de l’art contemporain sans qu’aussitôt  les “Antis” se rassemblent avec leur cohorte d’ilôtes pour mettre au ban de leur société ceux qui piquent son talon d’Achille avec un peu trop de hardiesse.
Il est un tabou inviolable entre les artistes et les institutions (et vice-versa) que j’aurai la malséance d’enfreindre, en constatant  que les institutions sont très conséquentes dans leurs agissements, puisqu'elles sont les garantes des pouvoirs politiques, qu’ils soient étatiques, gouvernementaux, régionaux, départementaux ou municipaux. Elles sont à leur service et elles les servent, quoique en disent leurs responsables, c'est-à-dire leurs employés. c'est dans l'ordre des choses!
Les artistes, quant à eux, sont dans une posture qu’ils semblent ne pas bien réaliser. Soumis au statut qu’on leur a attribué, et qu’ils croient avoir acquis, ils s’évertuent à revendiquer “leurs droits”. 
Amnésiques en ce qui concerne la nature de leur vocation, Ils oublient que tout type de prostitution - qu’elle soit du ressort de la nécessité (subvenir à des besoins) ou de celui de la perversion (les moyens s’assimilant au but )- ne peut en aucun cas être consubstantielle à l’art. 
L’art ayant toujours été, - et, pour sans doute encore très peu de temps, le dernier en date à le demeurer - le fait d’un être libre. 

Si “l’art de gagner de l’argent“ a été ainsi nommé par Platon afin de rendre  possible la survie de l’artiste, il s’agissait d’un art à part, qui, s’il était associé à la  pratique des autres arts, ne l’était qu’à seule fin de libérer l’artiste des lois de la nécessité.
Or, aujourd’hui, l’art a été si bien assimilé à la catégorie du Travail - dont “l’émancipation a envahi tout le domaine public” comme le note Hannah Arendt- qu’un artiste, qui ne peut subvenir à ses besoins  grâce à son art, est discrédité en tant qu’artiste. 
Situation paradoxale s’il en est, et que le système de subvention aurait peut être pu résoudre s’il avait vraiment été question de subvenir aux besoins des artistes. Mais il s’agissait bien plutôt de subvenir au besoin en divertissements d’une société, qui ne connaît plus d’autres alternatives que celle de la survie (dépenser et consommer, ou énoncé autrement : travailler et se divertir). 
Or l’art n’est ni un travail, ni un loisir.
L’artiste n’est pas un “homo laborans“  mais le dernier des “homo faber“ ;  il est maître de l’oeuvre qu’il crée à partir d’un modèle, existant hors de lui et qui survivra à l’activité qui l’a élaborée mais qu’il pourra détruire.

J’ai l’impression  de vivre, aujourd’hui, dans les histoires de fiction (dont les auteurs étaient finalement plus intuitifs qu’imaginatifs) qui me terrifiaient enfant. Un monde uniformisé dans lequel toute singularité était traquée, où penser était un crime et l’amour un délit. Un monde sans bibliothèque où les livres permis avaient été re-écris et dans les dictionnaires desquelles ne figurait plus le mot «  liberté » ni en son singulier, ni en son pluriel. 

Je ne suis plus une enfant, et l’Histoire est finie.
Sur le tableau noir  de l’école, la craie qui grinçait sur l’ardoise s’effritait pourtant et  nous avions la chair de poule.... et quand l’éponge effaçait les lettres blanches, comme accrochées dans les airs, nous nous dépêchions  de tout recopier pour  en garder non seulement le sens mais, aussi, la forme. 
Aujourd’hui, nous tapons sur des touches et des mots apparaissent qui pourraient être ceux d’un autre, et il suffit d’un clic pour engloutir dans un espace inlocalisable tout  ce que nous avions élaboré... 
Le changement, qui a eu lieu, est à cette image. 
J’ai encore la mémoire d’un monde, qui n’est plus et que j’aime, et que beaucoup ont encore la capacité  d’aimer. 
Je suis attachée à la tradition dans le sens où la tradition est une transmission. Elle est  le  lien  vivant entre le présent et le passé. 
Le révisionnisme de notre époque, qui se masque sous la frénésie des hommages -ces  moralistes et outrageants  “devoirs de mémoire” -, me glace, car  en sortant de l’Histoire, nous nous condamnons à une course aveugle vers l’avant qui, si elle n’a plus d’avant, n’aura sans doute plus d’après. 
Je fais du théâtre parce que j’aime les Hommes. Je les aime trop pour ne pas m’apercevoir qu’une grande partie de l’humanité  a déjà été transformée en  un type d’humains, qui ne ressemblent plus à ce que furent les hommes, et ce n’est pas pour ces mutants que je fais mes spectacles, mais pour mes semblables, pour les hommes, les femmes et les enfants qui restent. Je  continue de créer pour eux et pour moi sur mon tableau noir avec ma peur et mes erreurs.